Régis Debray
Ils s’entr’égorgent, s’entre-louent, s’entr’élisent. Sélectionnent, consacrent, enterrent. Tout ce qui publie, invente, joue, opine, dépend d’eux. Combien sont-ils? Cinquante? Deux cents? Courtisants-courtisés, promus et promoteurs, touche-à-tout-intouchables, ils dictent ses lois à la République des lettres, des arts et des idées: la Terreur douce. Les sages s’en amusent – depuis que le monde est monde, et la France Paris.
La comédie de moeurs a brusquement changé d’échelle et de registre.
Cette microsociété de pensée a désormais les moyens technologiques et politiques de faire penser la société entière. Sorbonne, Académie, Édition, Presse: l’ancien dispositif historique cède la place à de nouvelles hiérarchies, règles et procédures. Autre charpente, autre façade. Autre façons de décerveler.
Les clercs n’ont pas trahi. Ils font, de mieux en mieux, leur métier d’hommes d’État. En Occident, la police des esprits et devenue un service public. C’est parce qu’il règne dans les têtes que l’ordre règne dans la rue.
Diriger l’opinion, c’est aussi gouverner la République. S’il est la face cachée du pouvoir d’État, il est logique que le pouvoir intellectuel en France soit tabou.
Ce livre n’est donc pas un énième pamphlet pour ou contre les intellectuels. Mais une explication rigoureuse de l’actuelle stratégie du calme.
Au service d’une stratégie de désobéissance.